Doit-on s'arrêter de lire pour écrire ?
Où je parle de Jane Austen, de retraite d’écriture et de reprise du stand-up.
Bonjour,
bienvenue dans ce 4ème numéro d’épistolaire. Je vous écris aujourd’hui, après un peu plus d’un mois d’absence, libéré d’un poids. Pas celui des résolutions ni du gras des fêtes de fin d’année. Non. J’ai enfin assouvi l’un de mes plus grands fantasmes : j’ai vécu ma première retraite /résidence d’écriture.
Désolé pour celles et ceux qui attendaient une révélation à la 50 nuances de Grey. Je suis définitivement plus team tisane au thym que bougie fondue sur un tissu en satin. Vous me direz que l’un n’empêche pas l’autre. Entre nous, j’écris cette lettre un dimanche 9 février, à 21h30, en pyjama, après avoir regardé un épisode de Madame est servie, sous un plaid, en écoutant Solitude de Billie Holliday. Rien ni personne ne ferait le poids face à ce sentiment de confort hivernal régressif.
Et de toute façon il est hors de question de ruiner mes draps AM-PM en lin à cause de résidus de bougie renversée par un type qui ne parle qu’à l’impératif et me laisserait avec une lessive sur les bras.
Comme beaucoup d’entre vous ici (ne vous cachez pas, je vous vois mes adeptes de Jane Austen et Emily Brontë glissé.es parmi mes abonné.es), j’ai longtemps cultivé l’envie de m’enfermer dans une villa en bord de mer, l’hiver, pour me consacrer à l’écriture d’un spectacle ou d’un roman (et potentiellement rencontrer un sombre et bel inconnu venu se reposer dans son cottage familial pour oublier un lourd secret familial découvert lors de la signature du testament de son père).
D’ailleurs, l’un de mes derniers coups de cœur ciné parle très bien de cela. Le film s’appelle Jane Austen a gâché ma vie et c’est absolument charmant.
Avant d’aller plus loin d’aller dans la lecture, vérifiez si vous êtes bien abonné.e pour recevoir les prochains numéros 💌 :
Le film raconte l’histoire de Agathe, libraire chez Shakespeare & co, qui se retrouve invitée dans une résidence pour jeunes auteur.rices en Angleterre. Outre le traditionnel et délicieux dilemme amoureux du film (tombera-t-elle amoureuse de son meilleur ami ou du descendant de Jane Austen), j’ai été particulièrement touché par l’angoisse d’Agathe. Celle de ne pouvoir profiter de l’occasion qui lui est enfin donnée de ne se consacrer pleinement à son rêve d’écriture.
“La mauvaise écriture naît de la peur”.
Ce sont les mots de Stephen King que cite Mona Chollet dans Résister à la culpabilisation (sur quelques empêchements d’exister). Dans ce livre, Mona Chollet étudie les phénomènes qui pousse les catégories dites dominées à ce sentiment de culpabilité : femmes, enfants, minorités sexuelles ou raciales… J’ai surligné à peu près toutes les lignes de la 4ème partie intitulée Marche ou crève. La productivité comme mesure de notre valeur. On y retrouve la même angoisse que celle rencontrée par Agathe lors de sa résidence d’écriture.
Apparemment, je m’en veux de ne pas être une machine - Mona CHOLLET
Comme Agathe, Mona, et vous plus moi plus tous ceux qui le veulent (Grégoire n’était pas encore au stade de l’inclusivité) (qu’est devenu Grégoire ?) oui cette dernière année, j’ai eu peur. Peur de ne plus avoir d’inspiration, de prendre la mauvaise direction, d’avoir écrit un premier spectacle et des chroniques sans plus jamais y arriver. J’avais peur de ne pas être légitime à aborder un sujet si je ne m’étais pas construit préalablement une bibliographie détaillée et agrémentée de podcasts approfondissant le sujet. C’est enrichissant, certes, mais souvent assez grotesque :
J’ai l’angoisse du temps perdu ? Il faut que je parle de ça absolument ! Mais qui suis-je pour en parler si je n’ai pas lu tout Proust. C’est parti pour l’intégrale, plus de vie sociale, culpabilité de ne plus avoir de vie sociale, peur de ne pas avoir bien compris, culpabilité de ne pas avoir écouté tous les podcasts analysant son œuvre. Et une fois arrivé à la fin, finir avec une passion Proust mais plus aucune envie d’écrire sur le sujet : à quoi bon ? Tout a déjà été dit par Marcel, il a plié le game. Et pourquoi parler de ce cycle de culpabilité alors que Mona Chollet le fait brillamment dans son dernier essai ? ça ne s’arrête jamais !
Alors je me suis posé la question : devrais-je arrêter de lire pour écrire ? Et j’en suis arrivé à la conclusion que OUI. Si la lecture ne devient qu’un levier de ma productivité, cela perd tout son sens. Je n’ai pas d’ambition autre que d’écrire des histoires que j’aurai plaisir à dire et lire. Pourquoi continuer à me mettre la pression ?De quoi ai-je vraiment peur ? De la page blanche, du ratage, d’un manque de courage à l’idée de me remettre dans cet exercice long, fastidieux et incertain qu’est l’écriture d’un spectacle ? Bref, le plus simple était d’affronter cette peur et de me lancer.
J’ai appelé mon amie Céline, également autrice ici, pour lui proposer de profiter de cette faille spatio-temporelle des vacances de Noël et partir nous isoler en bord de mer. Nous pourrions ainsi écrire nos spectacles respectifs et vivre pleinement un spleen auteurisant à la Sally Rooney. Qu’est-ce que je risquais ? rien.
Nous nous sommes donné rendez-vous juste à côté du Touquet, dans une maison à quelques pas de la mer. Ensemble nous avons parlé de création, de nihilisme et d’existentialisme (Je suis Louis-Arthur, ceci est mon podcast). Bon, nous avons surtout joué à la crapette, fait une étude comparative de tous les parfums de choux de la boulangerie d’à côté et exploré les rayons du Action local. Quelques clichés étaient quand même heureusement bien présents : les plages désertes en hiver, l’ambiance surannée d’une station hors saison, la rencontre avec une star recluse.
Oui, nous avons rencontré Patrick, plus connu sous le nom de Louis La Brocante de Stella par Les échos du Touquet (une pleine page dans la presse que vous pourrez voir tout en bas de cette lettre).
Dès le deuxième jour d’écriture, la peur a disparu pour laisser place au plaisir (ok, là on dirait vraiment un extrait de 50 nuances de Grey) (ou les paroles d’une chanson d’Herbert Léonard pour les plus ancien.nes ici). Dans cette maison au temps suspendu, j’ai retrouvé tout ce qui m’avait animé lors de l’écriture de mes Chroniques sentimentales. J’ai oublié tous mes empêchements de créer : la pression, la comparaison, tout ce que Vincent Delerm décrit si bien dans Une vie Varda.
Si on peut vivre une vie Varda, Marcher sur le sable comme ça, Faire une vie hors compétition
Je suis reparti 5 jours plus tard avec une bonne moitié de mon nouveau spectacle d’écrit. J’ai continué d’avancer dans mon projet, en gardant cette même ligne de conduite. Aujourd’hui, une nouvelle histoire est en train de s’écrire, et j’ai plus qu’envie de vous la raconter, sur scène.
Alors grande / petite nouvelle : j’ai fixé une date pour remonter sur scène ! Ce sera avec Céline, à Lille, le jeudi 3 avril ! On se partagera la scène pour 30 minutes chacun.e (en stand up, on appelle ça un 30 / 30). Notez le dans vos agendas, je vous dis bientôt où et comment réserver.
Et la lecture dans tout ça ? Je me suis remis à lire il y a quelques jours sans aucun souci de productivité ou de documentation avec ce que j’écris. Le sentiment de culpabilité s’est évaporé. Je pourrais vous faire un paragraphe complet, mais Penelope Bagieu résume ça parfaitement en un dessin :
Je vous laisse avec comme d’habitude quelques coups de cœur artistiques de ces dernières semaines. J’espère que vous avez passé un agréable moment en ma compagnie.
Je vous embrasse,
Louis-Arthur.
Si vous avez aimé, si vous avez envie de partager auprès de vos ami.es, n’hésitez pas à mettre un petit cœur, à me laisser un petit mot d’encouragement et d’en parler autour de vous 💌
PS : on attend pas Patrick ?
PLAYLIST
J’ai écrit ce numéro 4 d’Epistolaire en écoutant ces 10 chansons. J’en ai fait une playlist disponible sur Deezer / Spotify :
R.O.B.Y.N. - Luke De-Sciscio // SOLITUDE- Billie Holiday // PARTY - François & The Atlas Mountains // ARCHEOLOGY - Claire Days // DUO - Philippe Katerine, Angèle, Chilly Gonzales // DERBY’S DOSE - Daudi Matsiko // LA NUIT - Piedbois // WATCH WHAT HAPPENS - Ella Fitzgerald // ALREADY YOURS - Sofia Valdés // PORTRAITS DE PEINTRES : No3, Anton Van Dyck - David Kadouch
MES COUPS DE COEUR DU MOIS
Pour des vacances tout en douceur :
Un film : UN PARFAIT INCONNU de James MANGOLD
Un livre : BROOKLYN de Colm Tóibín
Une newsletter : ah oui ?! par Nolyne Cerda
Une émission DAVID KADOUCH, Que reste-t-il de leurs amours
Et on oublie pas Patrick :
Merci d'avoir lu épistolaire. ! 💌
Je découvre substack avec vous.
C’est un plaisir de vous lire, et de vous suivre désormais !
C’est drôle, bien exprimé et ça me parle vraiment beaucoup !