La veste en tweed gris
où l'on parle de libération stylistique, de cheveux blancs et d'apparition de Mariah Carey dans une friperie...
Bonjour, voici le numéro 2 d’épistolaire. Petite nouveauté, j’ai pris mon iphone pour vous enregistrer une lecture de cette Veste en tweed gris (c’est du fait maison). Bonne lecture et/ou écoute.
"Et enfin, à cinquante-trois ans, j'ai entrepris d'apparaître." Et si tout ce qu'on racontait sur les cheveux blancs était faux ? C’est en partant de cette interrogation que Sophie Fontanel, autrice et journaliste, a décidé un soir d’été d’arrêter de se teindre les cheveux pour les laisser pousser au naturel. Cette décision lançait tout un processus d’acceptation d’elle même, s’affranchissant ainsi des injonctions sociales. Moi, mon processus d’acceptation n’a pas été déclenché par une quelconque apparition de cheveux blancs (mes cheveux ayant décidé unilatéralement de se libérer de moi précocement).
Mon élément déclencheur, libérateur, est apparu en cette rentrée, sous la forme d’une veste en tweed gris, dénichée dans une friperie.
J’ai toujours eu un rapport ambigu, une certaine attraction / répulsion, avec cette pièce du vestiaire. Adolescent, la veste en tweed représentait pour moi un temps révolu, celui des étudiants du Cercle des poètes disparus, de Cary Grant, acteur de l’âge d’or hollywoodien, des intellectuel.le.s américain.e.s des années 70 et 80.
« Tout le monde veut être Cary Grant, même moi »
- Cary Grant -
Dans les oeuvres de fiction, tout personnage portant une veste en tweed était pour moi symbole de coolitude et de richesse intellectuelle (même Joe Goldberg, tout tueur en série soit-il, dans la série You) (Vraiment ? vraiment). Bref, un certain fantasme intellectuel new yorkais que je rêvais d’atteindre en secret.
Mais une fois portée, cette veste me faisait ressembler au fils caché de mon vieux professeur de latin-grec de 3ème2 et de Vianney. Je me suis donc concentré toute ma vie sur une audace stylistique limitée au port d’un pull bleu marine, d’un jean brut, et d’une paire de Paraboot, soit la tenue fétiche de tout.e spectateur.rice du Jour du seigneur le dimanche matin.
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Pourtant pendant des années, j’ai lu des blogs de mode (je vous parle d’un temps). Je me suis intéressé au style Ivy League, hérité des étudiant.e.s américain.e.s des prestigieuses universités de la côte est. Des blazers, des pantalons portés taille haute, des sweat-shirts, des chemises oxford. J’ai écouté avec passion les podcasts de Marc Beaugé ou Jordan Maurin. J’ai découvert grâce à Black Ivy une période de l'histoire américaine où les hommes noirs de tout le pays ont adopté les vêtements d'une élite privilégiée et en ont fait leur propre. J’ai compris pourquoi ce style me parlait tant.
Il y a eu quelques tentatives de port de blazer, à des mariages ou enterrements. La coupe était étriquée (la fameuse obsession heureusement révolue du slim), je me sentais coincé dedans. Mais ce sont les rares moments où l’on m’a formulé cette remarque « oh, mais tu fais homme ! ». Je faisais donc homme quand je me sentais coincé et étriqué. Autant rester quelque temps encore avec cette allure d’éternel adolescent un peu sage, tout en gardant dans un petit coin de ma tête ces vestes et pantalons à pinces. L’homme assumé, ce n’était pas pour maintenant.
Un jour, j’ai découvert Fran Lebowitz. C’était au travers d’une conversation avec Martin Scorsese, sur Netflix, dans « Pretend it’s a City ». Elle était assise dans ce bar new yorkais, portant un blazer, une chemise blanche, d’une assurance et d’une classe folle. Je découvrais cette femme de 70 ans qui parlait de son rapport à l’argent, de New-York, d’art, d’écriture, avec tellement d’humour, d’intelligence. Une autrice, essayiste, actrice, photographiée par Annie Leibovitz, Patrick Demarchelier (« Did Demarchelier confirmed ? ») (que celui ou celle qui a la réf lève le doigt), qui a écrit des chroniques, livres, articles pour Vogue, Vanity Fair, donne des conférences partout dans le monde, a rencontré le tout New-York pendant des décennies, vit sans portable, ni ordinateur, fume des clopes, dont chaque parole est une punchline brillante. J’ai aimé, j’ai voulu être Fran Lebowitz. Il y a 4 ans, quand j’ai commencé à écrire, je me fantasmais en Carrie Bradshaw. Mais là, au revoir Carrie, je voulais être une femme de 70 ans assumant ses pensées, sa mauvaise foi, et son haleine de tabac.
J’ai lu ses chroniques, me suis reconnu dans sa tonalité. J’ai commencé à mettre des petites touches de Fran Lebowitz dans mon écriture. C’est une des artistes qui m’a aidé dans ma volonté de prendre une nouvelle voie pour mon projet.
C’est alors que Tweedie est arrivée cet automne (oui j’ai donné un nom à cette veste en tweed). Comme Mariah apparaissant un 1er novembre en scandant “It’s time” !
C’était un samedi matin, elle était là (pas Mariah), dans une friperie, identique à celle que je voyais depuis des années, coupe ancienne, ample, d’une matière confortable. Je l’ai essayée dans le magasin, un inconnu m’a lancé un regard approbateur accompagné d’un “humm, belle pêche” (j’ose espérer qu’il parlait bien de la veste). Elle était adoptée. Le temps était effectivement arrivé de franchir le pas. J’ai passé les jours suivants portant inlassablement ma veste comme un enfant avec sa nouvelle tenue de rentrée : eh, t’as vu, je porte une veste en tweed. Et ? Et rien, tout le monde s’en foutait, à juste titre. Mais moi je savais que c’était les premiers pas d’une nouvelle ère, celle où je m’écouterais désormais, vraiment.
Depuis, j’y vais petit à petit. Un jour c’est un pantalon taille haute à pinces, un autre c’est un bandana noué autour du cou. Comme je l’expliquais précédemment (cf. épisode 1 de épistolaire), je prends le temps pour tout en ce moment, y compris pour construire un nouveau vestiaire. Il m’aura fallu plus de 40 ans pour oser un vêtement, ce vêtement que je porte en ce moment même, alors que j’écris ces mots. Une façon de rentrer petit à petit dans la peau de cet auteur que je deviendrai peut-être, ou pas, peu importe. En tout cas, merci Sophie, d’avoir parlé de tes cheveux blancs, ça m’a aidé, aujourd’hui à parler de cette veste en tweed gris
Je vous embrasse,
Louis-Arthur.
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PS : je vous laisse avec de la musique, des conseils lectures et vidéos.
PLAYLIST
J’ai écrit ce numéro 2 d’Epistolaire en écoutant ces 10 chansons. J’en ai fait une playlist disponible sur Deezer / Spotify :
Everything happens to me - Chet Baker // Infinity - Hohnen Ford // That’s what I love - Leon Bridges // J’veux tout savoir - Hélène Sio // Pistol - Cigarettes After Sex // These foolish things (remind me of you) - Ella Fitzgerald and Louis Armstrong // Silencio - Patrick Watson & November Ultra // Feu de paille - Aliocha Schneider // Comme les pigeons d’argile - Pierre Lapointe // Si je m’écoutais vraiment - Tim Dup
LECTURES
Pour tout savoir sur le style Ivy league :
TAKE IVY de Teruyoshi Hayashida
BLACK IVY, a revolt in style de Jason Jules et Gram Marsh
Pour être inspiré.e et amusé.e :
UNE APPARITION de Sophie Fontanel
PENSEZ AVANT DE PARLER, LISEZ AVANT DE PENSER de Fran Lebowitz
PODCASTS
HABITUDES de l’Etiquette. Je ne peux que vous conseiller le dernier épisode avec Sophie Fontanel
MENSWEAR FAMILY le podcast du brillantissime Jordan Maurin
SERIE
L’incontournable PRETEND IT’S A CITY de Martin Scorsese sur Netflix
Merci d'avoir lu et écouté épistolaire. !
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