Peut-on transformer un doute en moteur créatif ?
méthode de résilience à base d'Ophélie Winter, d'écriture et d'overdose de Merveilleux de Fred
Bonjour,
Bienvenue dans ce cinquième numéro d’Épistolaire. Comment croire en son projet artistique quand, deux mois plus tôt, on s’est retrouvé assis sur une pierre, des larmes coulant sur son visage, quand tout était chaos (à côté) ? Et comment on passe de là… à ici ? Ici, aujourd’hui, où tout est joie (enfin, relative), où le projet avance, où la scène revient, et où les doutes reculent. Un peu.
Voici le récit d’une méthode absolument pas rapide, pour une prise de conscience à lent retardement. Et c’est parti pour le show. (pardon, j’ai un peu trop abusé des playlists 90’s pendant mes séances de sport) (ceci est un autre sujet).
La phrase qui s’installe
Avant de commencer, j’aimerais que vous pensiez à cette personne qui, un jour, a piétiné un de vos rêves.
Ou juste semé un doute assez vicieux pour se loger dans un coin de votre tête, comme une petite moisissure affective, discrète mais tenace.
Et qui, bien sûr, a eu la délicatesse de revenir vous hanter pile au moment où vous étiez à deux doigts d’accomplir quelque chose qui vous tient à cœur.
Parce que ces gens-là ne surgissent jamais au hasard. Non.
Ils réapparaissent pile au moment où votre confiance atteint les 75 % de batterie, comme s’ils avaient un radar interne intégré à leur ego.
C’est bon ? Vous voyez qui ? Parfait. On continue.
Gare de Lyon, 11h de train, 3 ans de silence
Février 2025. J’avais fini d’écrire la moitié de mon nouveau spectacle. J’avais une date à Lille pour tester le texte. Porté par cet élan, j’avais même accepté de partir en vacances avec mon amoureux dans les Pyrénées.
Slow life, randonnées, 11h de TER et de bus intervillages.
Moi, l’asthmatique angoissé par le silence, pour qui quatre minutes d’attente sur le quai du métro, c’est déjà l’éternité.
Mais j’étais prêt. Armé de livres, de carnets, d’un casque anti-bruit et d’un masque de nuit. Je traverse la gare. Je lève les yeux. Et là, je le vois.
Son visage placardé partout. Son sourire vaguement condescendant imprimé en 4x3 sur des affiches, annonçant sa venue dans la ville. Il est là. Et là. Et encore là.
Comme dans une scène de Ça, sauf qu’au lieu d’un clown maléfique, c’était lui : celui qui, trois ans plus tôt, avait fissuré ma confiance en une seule phrase.
Celui qui revenait pile au moment où j’avais 11h à tuer dans un train à lente vitesse, sans wifi. Celui qui allait m’offrir 11h de ruminement interne la tête posée sur la vitre sans filtre sur fond de Balavoine Pourquoi je vis, pourquoi je meurs, en auto-reverse.
Une sorte d’épreuve du poteau revue par Freud.
2022, illusions perdues
Retour en 2022.
Première version de Chroniques sentimentales, jouée à Paris dans un petit théâtre.
La salle est pleine, je suis naïf et heureux.
À la sortie, le directeur du lieu, adorable, me dit :
« Vous avez l’art de raconter une histoire. »
Je flotte. Littéralement. Et puis, le retour au sol.
Je tombe sur un groupe invité par mon producteur de l’époque. Des gens du "milieu".
Le genre à soupirer en commandant un spritz, à parler de "précision dramaturgique" comme s’ils étaient au Café de Flore.
L’un d’eux me fixe à peine. Il mâchonne son plat. Puis, entre deux bouchées, il lâche :
« Je ne vois pas qui pourrait bien s’intéresser à cette histoire. »
Pas de regard. Pas de sourire. Juste cette phrase. J’apprends qu’il est lui-même artiste, et que son spectacle connaît un succès grandissant.
Je me suis senti comme Kathleen Kelly dans Vous avez un message, face à Joe Fox, dans cette scène du dîner où elle encaisse ses provocations sans savoir répondre.
Moi le petit raconteur d’histoires face à ce mastodonte.
Mais moi, je n’avais pas la répartie. Juste ce goût amer dans la bouche
Juste ce goût amer dans la bouche. Et l’envie de me fondre dans la nappe à carreaux.
Cette phrase s’est logée dans ma tête. Et elle a commencé à grignoter tout le reste :
– chaque retour positif devenait suspect,
– chaque rire en salle, un malentendu,
– chaque projet, une imposture.
Le problème avec le ressentiment, c’est qu’il ne reste jamais à sa place.
Il s’étend. Il contamine. Il déforme tout.
Comme l’écrit Cynthia Fleury dans Ci-gît l’amer :
"L’un des points fondamentaux du ressentiment est le fait de ne plus savoir voir. De perdre l’accès au juste regard sur les choses. De perdre cette capacité d’émerveillement et, plus simplement, d’admiration."
Je recevais des compliments, mais je ne les entendais plus.
Mon cœur avait installé une hotline automatique :
« Merci pour votre retour, veuillez rester en ligne, un doute va vous répondre. »
Lille, scène pleine, fantasme pulvérisé
J’ai failli lâcher, et puis non, comme Ophélie (Winter, pas celle d’Hamlet qui se noie) (le vainqueur de l’épreuve du poteau, c’est moi), j’ai trouvé une force qui guide mes pas. Ce n’était pas dieu, mais l’idée qu’un bide à Lille pourrait être vite oublié par une surconsommation de Merveilleux.
Le 3 avril dernier, j’ai donc présenté les 30 premières minutes de mon nouveau spectacle dans un Comedy club à Lille en compagnie de mon amie Céline.
La salle était comble. Les gens ont ri. Beaucoup.
Et cette vieille phrase, celle que je trimballais comme une malédiction, s’est désintégrée à la première salve de rires.
Pouf. Plus rien.
Il y avait des gens. Des vrais. Intéressés par ce que j’avais à dire.
Et je me suis dit : peut-être que c’est ça, guérir. Mais 3 ans se sont tout de même écoulés entre cette phrase, et cette soirée.
et c’est parti le stade est chaud - Photo de Alicia Guigen
Juliette Armanet et la tendresse à retardement
Je ne suis pas une force de la nature. J’ai mis du temps.
J’ai commencé à écrire à 40 ans.
Mes premiers plateaux de stand-up, c’est après. Pas de success story éclair. Pas de mentor magique. Juste du travail, du doute, et parfois une scène avec des gens qui rient. Et parfois non. Et ça, c’est déjà énorme.
Je pense souvent à ce qu’on disait de Juliette Armanet à la sortie de son premier album. Des articles très fiers de souligner :
“Elle s’est lancée sur le tard, à 33 ans.”
Sur le tard ? Depuis quand l’art a-t-il une deadline ?
Dans une interview aux Inrocks, elle dit :
“Il faut consentir à soi-même.”
Ça m’a marqué.
Parce que c’est exactement ce que j’essaie de faire avec ce nouveau spectacle.
Consentir à qui je suis maintenant.
À ce que j’ai à dire aujourd’hui.
Sans courir après la validation de ceux qui ne me regardaient — et ne me regarderont — même pas.
Merci pour la tendresse
Le spectacle que j’écris s’appelle Merci pour la tendresse.
Et ça me semble être un bon titre. Ou du moins le bon titre. Enfin un titre ( calmons l’ego).
Parce qu’au fond, même le doute a fini par me faire un cadeau :
il m’a donné une matière à écrire. Et un ennemi à contredire.
Alors à celles et ceux qui prennent leur temps,
qui doutent,
qui se demandent encore s’il.elle.s ont le droit de raconter leurs histoires :
vous l’avez. Prenez le droit.
Si vous ne le prenez pas, Patrick continuera à hurler à qui veut l’entendre :
“Qui a le droit, de faire ça ?”
Et on n’a pas envie de passer sa vie à entendre Patrick.
Surtout pas Patrick.
À très vite,
Louis-Arthur
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PS : je vous laisse avec de la musique, des conseils lectures et vidéos.
PLAYLIST
J’ai écrit ce numéro 5 d’Epistolaire en écoutant ces 10 chansons. J’en ai fait une playlist disponible sur Deezer / Spotify :
Seasons- Amistat // My love Mine All Mine - Mitski // Buses replace trains - Matt Maltese // Ca va aller - Adé // Walk on the wild side - Lou Reed // Ladies Room - Olivia Dean // Quintessence - Benjamin Clementine // It’s over - Poppy Fusée // Darn that dream - Bill Evans // Wildflower - Billie Eilish //
LECTURES
Ci-gît l'amer. Guérir du ressentiment de Cynthia Fleury
Assemblage de Natasha Brown
J’ai assisté à la rencontre avec Ambre Chalumeau autour de son premier roman LES VIVANTS. C’était une très belle rencontre disponible en replay :
FILM
J’ai été très touché par le film LE GARCON (il y a un sujet judiciaire en cours sur la création de ce film).
Merci d'avoir lu et écouté épistolaire. !
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Beaucoup apprécié le partage sur le ressentiment. Sur la capacité de laisser aussi des phrases envahir nos doutes et plomber notre élan. Très poreuse de mon côté et pas encore guérie mais comme vous j’avance lentement. Ma newsletter Singulière. S est un petit pas 😌
👏ce👏n’est👏que👏le👏début 💖